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Des problèmes d’incivilité à Havila…

Article de Monsieur Kici Eatene concernant le débrayage du Mercredi 2 Novembre 2016 :

Introduction

En avril dernier, un ancien président de la République déclarait lors d’une réunion électorale à Nice : « Nous ne pouvons plus accepter une école où on ne respecte plus rien et où il n’y a plus d’autorité ».
Au niveau national et territorial, les médias se font le relais d’une crise de l’autorité qui touche toutes les strates de notre société : la famille, les partis mais aussi et surtout l’école…
Qu’en est-il vraiment ? Qui est responsable ? l’école, les parents ou la société ?
Mercredi 2 Novembre a été organisé à Havila un débrayage de deux heures initié par les professeurs d’EPS pour se plaindre d’incivilités dont ils sont souvent victimes.
Des paroles fortes ont été dites, parfois maladroites pour traduire l’exaspération des enseignants et des parents.

La question est donc : est-ce que le collège de Havila est lui aussi impacté par ce climat de délitement social? et quelles sont les réponses possibles que l’on pourrait apporter cette situation qui perdure et qui pour certains empire ?

Il me semble qu’il faut dans un premier temps, faire un diagnostic précis et partagé (I) puis mettre en place une prise en charge commune et adaptée (II).

I) UN DIAGNOSTIC PRECIS ET PARTAGE

A) Quelles « incivilités » constatées ?

1. Des incivilités « d’ados »

Il s’agit de ne pas banaliser le phénomène mais une distinction doit être établie au préalable : celle de des « incivilités » inhérentes au statut des ados car comme tout le monde le sait…l’adolescence est un âge ou l’enfant se cherche et remet souvent en question l’autorité de l’adulte. Ce sont donc moins des incivilités que des réajustements ou des repérages. Ces comportements certes nuisibles, doivent nécessiter une réponse préventive et pédagogique du personnel scolaire et des adultes en général.

2. Des « violences » (verbales, physiques, symboliques)

La seconde catégorie d’incivilités est plus problématique car elle traduit plus des dysfonctionnements. Elles sont de l’ordre des « violences » parfois physiques souvent verbales et symboliques. Répétées, elles nuisent alors à la mission d’éducation du collège et impactent fortement l’intégrité morale des personnels d’éducation.
Devant ces faits de « violences », Il est important d’adopter des protocoles clairs de prise en charge. De même, le personnel scolaire peut se trouver démuni devant certains types d’attitudes, il est alors impératif de faire appel à des « experts » ou « personnes ressources » qui peuvent nous aider à mieux identifier ces dysfonctionnements et à mieux les traiter. Il faut parfois admettre qu’on n’est pas compétent pour certains faits graves.

B) Nécessité d’un constat partagé porté par l’ensemble des acteurs de l’éducation

1. Dialogue impératif entre les parents et les personnels d’éducation

Ce constat doit être partagé par l’ensemble des acteurs de l’éducation. Il nécessite qu’il y ait impérativement dialogue entre parents et personnel scolaire. Pour cela, il faut d’abord éviter de tenir un discours culpabilisant et entretenir une logique de blocs, comme le font souvent les médias. Nous sommes tous parents et éducateurs…et ce sont nos enfants qu’il faut aider.

Mais le personnel scolaire doit aussi être là pour aider les parents à identifier les carences éducatives et à comprendre les logiques institutionnelles de l’école.
De même les parents doivent aussi tenir compte des difficultés des personnels d’éducation, qui pour certains (n’ayons pas peur des mots !) sont en souffrance…dans leurs fonctions [la crise que vit actuellement l’institution y est aussi pour quelque chose, soyons lucides !].

2. Dialogue impératif entre les enfants et les personnels d’éducation

Il est aussi impératif qu’il y ait plus de dialogue entre personnel scolaire et élèves. D’abord, parce qu’il y a des différences de perception des incivilités entre les personnels d’éducation et les élèves (par exemple : le manque de rigueur du travail personnel, le langage vulgaire…). Il faut clarifier les choses !
Il est temps aussi de former les personnels d’éducation dans le diagnostic, la prise en charge (la médiation par exemple)….
Il serait intéressant de réfléchir sur des temps de discussion avec les enfants sur des thématiques ciblées… et les laisser aussi s’exprimer sur ces sujets (des projections de films pourraient être programmées, comme le faisait Mme Waej, il y a quelques années).

II PUIS METTRE EN PLACE UNE PRISE EN CHARGE COMMUNE ET ADAPTEE

A) La revitalisation de la notion de « communauté éducative »

1. La coresponsabilité (école, parents, famille, clan, tribu, chefferie, grande chefferie)

La prise en charge de ces faits ne peut être que commune. Chacun dans sa sphère de compétences doit apporter sa contribution. Il faut réaffirmer le principe de communauté éducative. Elle doit se traduire par la notion de coresponsabilité, sans exonérer bien sûr les parents de leur devoir parce que l’éducation commence d’abord à la maison…C’est donc l’idée d’une responsabilité partagée (comme l’a souligné Mr Kakué Célestin) avec tous les acteurs de l’éducation.
[Petite précision : Aujourd’hui, le discours dominant des médias, c’est le manque criant de repères des jeunes kanaks et on renvoie cela aux coutumiers…aux parents mais quand on parle de destin commun, c’est aussi la communauté éducative dans son ensemble (pas seulement les kanaks)…L’avenir de ce pays ne se construira pas sans sa jeunesse kanak, qu’elle soit en rupture ou pas…sinon ne venez pas nous parler de destin commun !!]

2. Des référents visibles

Au risque de me répéter, si nous ne proposons pas des référents ou des modèles à nos enfants, ils iront les chercher ailleurs dans les idoles que nous proposent la société de consommation et les médias. Des idoles qui véhiculent d’autres valeurs, qui pour certaines sont en contradiction complète avec nos valeurs traditionnelles et qui sont loin des valeurs de travail et du culte de l’effort. Est-ce cela que nous voulons pour nos enfants ?
Comme le disait Billy Wapotro, lors de son audition par le Sénat coutumier pour la rédaction du rapport sur la jeunesse kanak : « des valeurs nous arrivent sans qu’on les y invite… » parfois de manière insidieuse et même ludique.
[Petite parenthèse : interrogez-vous sur les valeurs que véhicule une émission somme toute « familiale » comme « Koh lanta » = individualisme à outrance, relations sociales instrumentalisées pour gagner, trahison et manipulation, compétition nauséabonde…Certains diront que c’est un jeu…mais !! Je préfère l’esprit de « Fort Boyard »…]
Pour y remédier, il me parait impératif de mettre en place une réserve citoyenne kanak qui pourrait intervenir au collège. Elle se composerait de cadres retraités ou pas, des anciens sportifs, des coutumiers, universitaires kanak, des chefs d’entreprise kanak, des personnes actives des associations, des étudiants… qui doivent partager leurs expériences et faire vivre les valeurs traditionnelles et nouvelles…et surtout montrer comment les conjuguer !
J’ai envie de dire…chaque tribu doit identifier les personnes ressources qui pourraient faire partie d’une réserve citoyenne kanak de la tribu…et qui interviendrait également dans les tribus …Il nous faut absolument une visibilité de ces référents car les enfants doivent avoir des modèles !

3. Les « écoles-relais » de tribu ou l’école de la tribu (école du dimanche, groupe des jeunes, association sportive…)

Il y a une corrélation évidente entre réussite scolaire et prise en charge éducative communautaire…il y a des « écoles-relais » dans la tribu : l’école du dimanche, le groupe des jeunes, les associations sportives et autres associations de danse…Il faut valoriser ces espaces de transmission de savoirs, de savoir-être et de savoir-faire…
De même il faut continuer à pérenniser la transmission des savoirs culturels entre générations (enfant/jeune/jeune marié(e)/homme-femme marié(e)/vieux-vieille). On le sait bien quand toutes les strates de notre société traditionnelle s’impliquent, les enfants sont normalement sur la bonne voie.

On peut imaginer de valoriser ces espaces de transmission de savoirs en leur permettant une meilleure visibilité sur le net (blog ou page Facebook)…car on le sait et on le voit bien … les enfants d’aujourd’hui surfent beaucoup sur la toile…sans doute trop !

B) La nécessité de faire émerger une « cohérence éducative » (pas de rupture entre l’école et la tribu !)

1.Un nouveau défi communautaire de réussite éducative

Havila a été une réussite éducative parce que c’était un défi communautaire relevé par tous (L’Eglise, le personnel, les parents et les élèves…) dans un lieu qui était prédestiné exclusivement à cette mission …Toutefois une donnée socioculturelle a changé : les enfants passent moins de temps à Havila…il est donc essentiel qu’aujourd’hui ce défi communautaire de réussite éducative doit être de nouveau et en partie porté par les familles, les clans et les tribus…là aussi, les tribus doivent innover…Pour les y aider, l’expertise des personnels d’éducation de Havila peut être déterminante…
Il faudra réfléchir à des protocoles de réussite éducative à l’échelle d’une famille, d’un clan voire d’une tribu…peut être s’inspirer du modèle de Havila…en aménageant à l’intérieur des tribus un espace exclusivement dédié à la transmission des savoirs culturels mais aussi à la consolidation des compétences scolaires (étude, soutien et espace de révision et de préparation des examens et autres concours…)…
L’association des parents d’élèves doit être mieux structurée et mieux outillée…On pourrait mettre en place une « école de la parentalité en tribu » qui serait itinérante et qui pourrait faire appel à l’aide technique de l’EPEFIP (et des services de la PIL) et qui pourrait proposer l’invitation d’intervenants et de personnes-ressources.

2.« Pédagogie de proximité » ancrée dans la cosmogonie de l’enfant kanak
Comme le montrent certaines images tirées du quarantenaire de Havila, il n’y avait pas de rupture entre l’acquisition de compétences culturelles, spirituelles et scolaires. Dans cet établissement, les enfants apprenaient la « grammaire » spirituelle (prière, méditation, participation aux cultes et fêtes religieuses), la « grammaire » culturelle (danses, chants et travaux des champs…) et la grammaire française académique. On peut supposer que de cette mystérieuse alchimie est née la réussite éducative de Havila. L’engagement des personnels d’éducation y est aussi pour beaucoup.

Il serait intéressant de réfléchir à la prise en compte de ces compétences culturelles, sociales et spirituelles dans un livret de compétences ou pourquoi pas… à terme mettre en place un curricula de compétences (culturelles, sociales, humaines, spirituelles et scolaires) à acquérir tout au long de son parcours biographique…qui seraient valorisées et prises en compte aussi par l’école.
Les récents travaux de recherche de Mme Pinane sont très encourageants de ce point de vue-là…

Bien entendu, il ne s’agit pas de s’exonérer de la nécessaire ouverture au monde extérieur parce qu’on ne veut pas former un kanak qui soit refermé sur sa propre culture…Il doit s’insérer socialement et professionnellement dans un monde qui s’ouvre et qui est en pleine mutation mais il s’agit de lui donner les armes pour avoir la bonne ou les bonnes grilles de lecture pour le digérer et s’y intégrer…
D’ailleurs à ce propos, les tribus pourraient cibler d’autres compétences nécessairement ancrées dans les défis d’aujourd’hui : des compétences de management de projet, des compétences de gestionnaire,…
On est dans une ère de l’économie collaborative…Rien n’empêche qu’une tribu invite des prestataires-experts de ces compétences pour former une dizaine de jeunes (issus de toutes les familles composant la tribu) lors d’un séminaire en échange d’un séjour en tribu…des pistes sont possibles !

3.Resanctuariser temps et lieux scolaires

Il faut sanctuariser le temps scolaire en prenant en compte les périodes scolaires qui incluent le temps des différentes échéances scolaires (conseils de classe, préparation et révision des différents examens).
Sanctuariser le temps scolaire, c’est aussi ACTER une mobilisation générale de la communauté éducative pour aider et accompagner nos enfants à passer leurs différents examens… L’expérience de Havila le démontre chaque année quand il y a mobilisation de la communauté éducative…il y a la réussite au bout…aujourd’hui, cette formule semble se vérifier ailleurs comme on peut le voir à Dokamo et au lycée des iles…pendant la semaine de révision du Bac.
Pour resanctuariser Havila, il faudra aider l’élève de Drehu à se réapproprier ce collège, d’abord de manière symbolique…qu’il y retrouve ses repères…j’ai envie de dire ses « ancrages culturels et spirituels »… Aidons l’enfant de Lifou à se sentir chez lui…et non plus dans un espace contraint et étranger à son univers…Le travail que fait actuellement l’homme d’entretien, M. Pamani (potager autour de la direction et jardin suspendu avec la 4èE de Mme Maylis) peut être une option possible…
Le mandat confié à Havila reste d’actualité mais ses modalités d’application ont changé… Il s’est traduit autrefois par une forme de délégation de l’autorité parentale, souvent incarnée par la délégation de la prérogative de « correction éducative »…Cela n’est plus possible aujourd’hui…Il faut trouver de nouvelles mesures alternatives…Il nous faut innover comme l’a si justement souligné un parent…Cette autorité « coercitive » que nous avions, il va falloir la réinventer sous une autre forme…qui corresponde aux aspirations libérales de notre société. Rappelez-vous : « le retour à la tradition est un mythe…notre identité est devant nous » Cf. Jean-Marie Tjibaou.
Havila…et l’ASEE en général n’ont plus le monopole de la réussite scolaire mais elle reste la seule à promettre une formation « totale » : l’éducation d’un Dokamo (culturelle, spirituelle et formative)…ce qui a son importance dans un monde qui évolue trop vite…

« Il n’y a pas d’ados équilibrés, il n’y a que des équilibristes… » (Cf. Françoise Dolto). Il n’y a pas non plus de « brebis galeuses »…Il n’y a que des enfants qui se débrouillent tant bien que mal avec le matériau éducatif qu’on leur propose…

Cet article est dédié à tous les personnels de l’ASEE qui vivent actuellement une situation extrêmement difficile…

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